INDUSTRIE PHARMA : Enquête : Comment les industriels devancent les textes sur le mirage des produits injectables ?

De plus en plus prisée par les industriels, le mirage des produits injectables est en pleine révolution technologique. Une transformation qui, à l’heure actuelle, ne transparaît pas encore dans les textes réglementaires européens qui précisent que l’œil humain reste la référence.

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Alexiane ROUPIOT – 07/11/23 – Usine Nouvelle

ANNEXE 1 DES GMP EU sur le mirage des produits injectables

Entrée en vigueur en août 2023, l’Annexe 1 des Bonnes Pratiques de fabrication (BPF) sur la fabrication des médicaments stériles liste notamment les objectifs à atteindre en matière d’inspection visuelle des produits injectables. Et elle donne des recommandations sur les méthodes à employer pour y parvenir. Ce texte vient compléter la pharmacopée européenne dans laquelle la contamination particulaire des produits parentéraux est abordée en quelques lignes au chapitre 2.9.20. Néanmoins, la réglementation européenne sur le mirage des produits injectables présente encore des lacunes. « Dans les faits, le texte qui sert souvent de référence pour l’inspection visuelle des médicaments injectables en Europe, c’est le chapitre < 17 90 > de la pharmacopée américaine », constate Christophe Assire, cofondateur de QP Pharma, une société de conseil et de prestation en industrie pharmaceutique.

« Le mirage est une étape de production très complexe, à mi-chemin entre la production et le contrôle qualité; je pense qu’il faudrait une annexe réservée à l’inspection visuelle ! », milite Ludovic Prost, directeur général de QP Pharma. En attendant, les acteurs de l’industrie pharmaceutique prennent les devants. Malgré les manquements de la réglementation, ils innovent pour optimiser l’inspection visuelle des produits stériles parentéraux afin de garantir une meilleure sécurité des patients tout en assurant leur viabilité économique. Et bien qu’il ne soit pas mentionné explicitement dans les textes européens, le mirage automatique cristallise une grande partie des innovations. « En France, la tendance est à l’augmentation de l’inspection visuelle automatique », affirme Romain Veillon, expert global en inspection visuelle chez GSK.

« Dès que cela est possible, nous essayons de faire du mirage de produits injectables automatique », abonde Olivier Chauvet, Responsable Projets, Manufacturing and Supply, sur le site vaccins de Sanofi, à Val-de-Reuil. Pour justifier ce choix, les industriels mettent en avant la meilleure reproductibilité et la cadence plus élevée de l’inspection visuelle automatique. « En manuel, un opérateur mire en moyenne entre 1 000 et 2 000 unités par jour. Sur une machine semi-automatique avec 3 ou 4 opérateurs travaillant simultanément, on monte à 2 500 unités par heure. Et une mireuse automatique inspecte 36 000 unités par heure », chiffre Ludovic Prost.

 

Des algorithmes d’analyse d’image puissants

 

Mirage automatique Plus Microvials OPTREL Inspection

 

Sur ces machines à la cadence effrénée, la révolution technologique est à l’heure de la digitalisation. D’une part, les systèmes de vision dont elles sont équipées sont de plus en plus performants. « Leur résolution a considérablement augmenté : il y a quinze ans, on prenait une trentaine d’images par flacon, et aujourd’hui, on en prend 450 en un même laps de temps », illustre Romain Veillon. Et à cela s’ajoute l’augmentation de la puissance des algorithmes d’analyse d’image grâce à l’utilisation de l’intelligence artificielle (IA). « Les mireuses automatiques de dernière génération sont capables d’autoapprentissage : elles augmentent leur capacité à discerner les unités défectueuses, des conformes, par rapport à leur niveau de qualification initial », indique Olivier Chauvet.

 

 

 

Et certains équipements automatiques commencent même à intégrer des technologies de deep learning, qui utilisent des réseaux de neurones pour mimer le processus d’apprentissage du cerveau humain. En février 2021, par exemple, le constructeur allemand Syntegon a installé son premier système d’inspection visuelle, équipé d’IA utilisant des algorithmes de deep learning, dans une machine entièrement automatisée et validée sur la ligne de production d’Amgen. Le laboratoire utilise ce nouveau système pour distinguer de manière fiable les bulles d’air – au niveau du bouchon en caoutchouc de la seringue – des particules étrangères. D’après Syntegon, leur système aurait permis d’augmenter le taux de détection des particules de 70 %, tout en réduisant le taux de fausse détection de 60 %.

Sur le site de Saint-Amand de GSK, la révolution digitale est aussi en marche. En 2025, les mireuses automatiques traiteront les images d’inspection visuelle grâce à des réseaux de neurones profonds. « Pour que ces IA fonctionnent, nous devons emmagasiner de grosses quantités de données, alors nous avons fait un premier investissement pour acheter des serveurs dédiés au stockage des images défauts qui alimenteront les réseaux de neurones par la suite », explique Boris Van Waes, responsable de l’inspection visuelle, sur le site de Saint-Amand. « Nous travaillons également à garantir l’intégrité des données utilisées et le respect des règles de cyber-sécurité », souligne Romain Veillon.

 

Digitaliser la qualification ?

Mais la digitalisation du mirage automatique ne se restreint pas à l’inspection visuelle en elle-même, elle touche également les étapes amont de calibrage et de qualification des équipements. « Au départ, la qualification se basait uniquement sur des essais : on faisait passer des objets défectueux présentant des défauts de différentes catégories et on s’assurait que la machine les ait repérés, avec un taux de détection suffisant », rappelle Olivier Chauvet. Désormais, des constructeurs, comme Brevetti Angela ou Stevanato, proposent des simulateurs qui, à partir d’images de défauts ciblés, sont capables d’anticiper le comportement de la mireuse en fonction de son paramétrage. Pour les industriels, cet outil de simulation est un gain de temps considérable dans le développement des recettes visions.

« Plutôt que de faire des essais à grande échelle qui sont des manipulations lourdes, la simulation permet de déterminer une gamme de paramètres restreinte à tester », pointe le responsable projets de Sanofi. « Pendant que le simulateur travaille, la mireuse automatique peut continuer son inspection visuelle, rappelle Ludovic Prost. Pour l’industriel, c’est un gain de productivité important », poursuit-il.

Et sur son site de Saint-Amand, GSK prévoit même d’étendre la digitalisation à la qualification des équipements grâce au déploiement de jumeaux numériques des mireuses. « Une machine virtuelle permettra de qualifier les nouvelles recettes visions développées par l’IA à partir d’unités virtuelles de défauts. Nous allons déployer les jumeaux numériques et toute l’infrastructure nécessaire entre janvier 2024 et fin 2025. Les phases de test sont en cours », annonce Boris Van Waes.

Chez les industriels, la révolution digitale est engagée. Mais pour qu’elle porte ses fruits, elle doit aller de pair avec une réforme de la formation (encadré) et une évolution de la réglementation. Or à l’heure actuelle, le terme d’intelligence artificielle n’est pas mentionné dans les textes européens. En revanche, l’Agence européenne des médicaments a publié, en juillet 2023, un papier de réflexion sur l’utilisation de l’IA dans le cycle de vie des produits médicaux. Et en France, en janvier 2023, l’ANSM et le Leem ont lancé un groupe de travail sur la place de l’IA dans l’industrie
pharmaceutique.

« Ces réflexions envoient un signal fort qui va dans le sens de nos innovations », salue Romain Veillon.

« Les systèmes automatisés sont moins performants que l’humain pour discerner des artefacts de lecture, des reflets ou des variations de couleur ténus », Olivier Chauvet (Sanofi).

Le mirage manuel, la référence

Parallèlement à cette transformation digitale, les machines d’inspection visuelle automatique intègrent de plus en plus de nouvelles technologies d’inspection au sens large. Le groupe italien Stevanato propose, par exemple, d’équiper toutes ses mireuses automatiques, soit d’un système de détection des fuites à haute tension pour repérer les microfissures dans des contenants remplis de liquide, soit d’un analyseur de gaz pour tester les contenants remplis de produits lyophilisés. « En 2025, nous allons déployer de nouvelles machines d’inspection automatique qui intègreront la technologie de détection des fuites à haute tension avec les derniers développements en matière d’alimentation et d’électrodes pour gagner en performance de détection », annonce Boris Van Waes.

Table de mirage CLEANVIEW STERIGENE
Table de mirage CLEANVIEW STERIGENE

Par ailleurs, l’utilisation d’autres technologies comme la spectrométrie infrarouge et l’inspection par rayons X est envisagée pour le mirage des produits injectables plus complexes, comme les solides ou lyophilisés. Car hormis sur la détection de particules dans les produits liquides, le mirage automatique n’atteint toujours pas la performance de celui recourant à l’œil humain. « Les systèmes automatisés sont moins performants que l’humain pour discerner des artefacts de lecture, des reflets ou des variations de couleurs ténus », ajoute Olivier Chauvet. Aussi, le mirage manuel est encore couramment utilisé par les industriels pour inspecter des substances colorées, huileuses, ou avec de petits volumes d’injection. De même, les produits fabriqués en petits lots sont souvent mirés manuellement pour des raisons de coûts. D’une part, le prix de chaque unité étant généralement très élevé, les industriels cherchent à limiter le taux de faux rejets. Or « plus de 99 % des unités éjectées par une machine d’inspection automatique sont conformes », souligne Boris Van Waes.

 

Par ailleurs, la qualification d’un équipement automatique peut s’avérer trop complexe pour être rentable sur de petits lots. « Il fut un temps, sur notre site de Val-de-Reuil, nous produisions des seringues très particulières en petites séries. Qualifier une recette automatique pour l’ensemble des défauts en tenant compte des particularités de la seringue aurait été trop compliqué pour être rentable », se souvient Olivier Chauvet. Par ailleurs, à l’heure actuelle, le mirage des produits injectables manuel sert toujours de référence. Sur chaque lot inspecté en automatique, semi-automatique ou manuel, un contrôle de Niveau de qualité acceptable (NQA) est réalisé manuellement sur un échantillon statistique, représentatif du lot, pour s’assurer de l’absence de dérive du procédé, par rapport à ses paramètres validés. « L’œil humain continue à contrôler ce que fait la machine », résume Olivier Chauvet.

Alors, les industriels et fabricants d’équipements innovent aussi en matière de mirage manuel. Des chaises plus confortables, des tables réglables en hauteur, des outils d’aide à la manipulation des unités, des éclairages limitant les reflets lumineux… « L’innovation technologique porte principalement sur l’ergonomie pour améliorer le confort et les conditions de travail des opérateurs », résume Ludovic Prost. Membre du groupe SYNEXIN, la société STERIGENE, experte en équipements process, notamment dans l’industrie pharmaceutique, dévoilera, début 2024, le cinquième modèle de sa table standard de mirage manuel. « Pour maîtriser la reproductibilité de l’environnement de mirage, l’ensemble des éléments de la table CleanView sont fixes. En revanche, elle est montée sur des piétements télescopiques qui permettent à l’opérateur d’ajuster la table à sa hauteur », détaille Franck Delannoy, responsable du pôle de formations, audits et conseils chez STERIGENE. Chaque année, l’entreprise commercialise une centaine de tables de mirage manuel, dont environ 70 % sont des modèles standard.

 

Vers une digitalisation de la formation au mirage ?

La transformation digitale du mirage automatique et la grande quantité de données associées vont faire apparaître de nouveaux besoins en compétences. « Nous allons adopter une approche de montée en compétences en accompagnant nos ingénieurs vision pour les amener progressivement à gérer les notions de serveurs, de bases de données et de cybersécurité », anticipe Romain Veillon, expert global en inspection visuelle chez GSK. Par ailleurs, « si les technologies évoluent, elles sont toujours comparées à la performance de l’œil humain », rappelle Olivier Chauvet, Responsable Projets, Manufacturing and Supply sur le site vaccins de Val-de-Reuil de Sanofi. « Et c’est pour ça que la formation des opérateurs de mirage manuel est primordiale », insiste-t-il.

« L’habilitation et la formation des techniciens de mirage des produits injectables demandent du temps et des équipements disponibles », souligne également Joël Rancœur, directeur du développement des formations industrielles au sein du Groupe IMT. Pour aider les industriels à s’affranchir de ces contraintes, le groupe IMT travaille, avec certains de ses clients, à la digitalisation de la formation et de l’habilitation des opérateurs. « Plutôt que de faire passer tous les opérateurs un à un devant une table de mirage, l’idée est qu’ils puissent regarder tous ensemble les différents flacons en vidéo pour gagner du temps », explique Joan Leclerc, responsable Innovation digitale chez le groupe IMT. À court terme, si la réglementation le permet, le groupe IMT espère pouvoir mettre à disposition ces vidéos pour l’habilitation des opérateurs de mirage. « Nous n’avons pas encore abordé le sujet avec l’ANSM », reconnaît Joan Leclerc.

 

Des possibilités d’innovation infinies

Pour le reste, ce sont des équipements sur mesure, conçus pour répondre au cahier des charges des clients. « Nous avons développé une table spéciale pour mirer des poches injectables : nous avons installé un crochet pour soutenir la poche, intégré deux sources d’éclairage et une dalle rétroéclairée », illustre Laurent Meilhaud, Responsable développement mirage manuel chez STERIGENE. « Sur des tables sur mesure, les possibilités d’innovation sont infinies ! », se réjouit-il. Par ailleurs, certaines technologies présentes sur les équipements d’inspection visuelle automatique et semi-automatique pourraient bientôt équiper les tables de mirage manuel.

« Les grands pontes de l’industrie pharmaceutique sont de plus en plus nombreux à nous demander de garantir l’intégrité des données (Data integrity ) et d’intégrer à nos tables de mirage manuel de nouvelles fonctions telles que le contrôle du temps d’inspection grâce à l’intégration de capteurs de mouvements et de minuteurs, ou le contrôle du nombre de rejets grâce à l’ajout de trappes pour décompter les unités rejetées par l’opérateur », détaille Laurent Meilhaud . « Nous travaillons sur des prototypes intégrant ces nouvelles fonctions », ajoute-t-il.

« Ces fonctionnalités pourraient être intéressantes pour que toute l’attention et l’intelligence de l’opérateur soient focalisées sur la détection des défauts, sans avoir à gérer l’aspect logistique », salue Christophe Assire. Toutes ces innovations ont été pensées par les industriels dans un seul but : diminuer au maximum les défauts dans les produits stériles injectables. Mais rappelons que l’inspection visuelle n’est qu’une étape de vérification de l’absence de défauts. Les résultats du mirage des produits injectables sont d’autant meilleurs que l’industriel a maîtrisé toutes les étapes de son procédé, notamment en travaillant en amont avec ses fournisseurs de contenants primaires.